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Le ciel au dessus du Louvre, la question de l’image de l’Histoire en Bande dessinée

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« Tout culte a besoin d’images, même l’Invisible a besoin d’être incarné » (Robespierre, planche 24)

En l’an I de la République, la Révolution cherche insatiablement une légitimité de marbre. C’est au cœur de Paris, dans les rues sinueuses et cloitrées de la Terreur, que deux artistes ont souhaité s’interroger sur la problématique de la sacralité dans un processus politique révolutionnaire. Le ciel au dessus du Louvre est une œuvre magistrale mis en image par Bernar Yslaire et scénarisé par Jean Claude Carrière. Ce dernier, que l’on connaît mieux comme scénariste du grand écran, qui a notamment travaillé au côté de Andrzej Wajda pour le film Danton, se confronte à nouveau à l’histoire de la Révolution française à travers un récit dessiné . L’édition Futuropolis, en partenariat avec le musée du Louvre, amorce un réel travail de fond depuis quelques années dans la réflexion autour de l’image en général. Insérer des œuvres au cœur d’une bande dessinée, c’est dynamiser une mise en abime insolite qui permet d’ouvrir une nouvelle dimension à la recherche esthétique, artistique, voire historique. Le récit commence par cette phrase évocatrice : « La Révolution est aux abois, envahie par l’Europe des rois, rongée par la guerre de Vendée et d’autres révoltes à Lyon, à Marseille ». Marat vient de mourir assassiné, le processus de sacralisation est en marche, la Révolution prend un nouveau départ, il faut constamment œuvrer pour la légitimation du pouvoir en place. L’histoire est celle des deux des plus grandes personnalités politiques, Robespierre et David, situés au cœur de la tourmente révolutionnaire. Au nom du Comité de Salut public, Robespierre commande à David une représentation de l’Etre Suprême car « tout culte à besoin d’image, même l’Invisible a besoin d’être incarné » (planche 24).

S’interroger sur le pouvoir de l’image pendant la Révolution française, c’est essayer de se pencher sur les acteurs eux-mêmes, de se rapprocher de leur volonté de produire une légitimité durable. Dans une quête créative, l’image prend une place de choix, elle peut transcender les êtres, elle peut être le garant d’un pouvoir embryonnaire. « C’est dans la représentation que le pouvoir est absolu » écrit Louis Marin dans Le portrait du roi. On a bien ici une des thématiques fondamentales de cette bande dessinée, où la « République doit se défendre par les armes, mais aussi par les idées, par les images, par les symboles, par la beauté » (planche 10). Dans cette France devenue orpheline, de père et de mère, la question de la sacralité semble devenir essentielle. Les auteurs nous invitent à nous interroger sur un ciel devenu désespérément vide et à nous demander si l’Art ou l’image peut produire une divinité. Dès l’ouverture, Yslaire et Carrière inaugurent un processus de représentation. La pleine page, qui prend la forme d’un tableau (par là même les chapitres deviennent eux aussi différents tableaux), ouvre une scène de théâtre par sa propre composition, les chevalets faisant office de rideaux ouverts. Cet indice emphatique apporte l’élément fondamental de la réflexion : la bande dessinée s’assume comme la représentation du réel, elle ne prétend pas l’incarner. Dès les premiers balbutiements qui suivent la

mort de Marat et la naissance de la prééminence de Robespierre sur la scène politique, le rôle de David se trouve changé. Il apparaît comme le « metteur en scène » de la Révolution. Robespierre se saisit rapidement de ces talents pour représenter les nouveaux principes de la République, les martyrs de la Révolution…

Le lecteur est ici face à une première mise en abîme, ces deux hommes historiques, maintes fois représentés, sont à nouveau incarnés par la représentation construite par Yslaire. David et Robespierre, encadrés dans la planche sont ainsi mis en scène comme des images d’image, des pâles reflets des diverses représentations. Ainsi, les auteurs nous annoncent qu’ils vont jouer avec la représentation, que leurs personnages sont des images d’Epinal, produits de multiples fantasmes. Le Louvre en tant que personnage, incarne encore cette volonté narrative. Dès la planche 5, une vendeuse d’imagerie instantanée (support d’une écriture immédiate de l’Histoire ?) de la révolution s’exclame « mais la Fraternité c’est plus cher tu penses bien ? ». L’image permet donc la diffusion de l’Histoire dans le temps et par là même la production d’un imaginaire collectif souvent faussé. Ainsi, les auteurs mettent en place une seconde mise en abîme, une réflexion sur l’image comme représentation historique d’une réalité déformée dès son temps originel. D’une certaine manière, la bande dessinée vient s’affirmer comme fausse source historique.

L’utilisation de l’incrustation, dans les dessins d’Yslaire, des tableaux de David et d’autres grands maîtres, vient également renforcer cet aspect. Si David doit « trouver un visage » à l’Être Suprême, il dessine et esquisse Danton (page 28), Robespierre (page 21). C’est bien nous démontrer que la Révolution c’est aussi, au-delà d’une éruption politique, une histoire de visages, de faces, et de têtes (que l’on guillotine). Comme le fait remarquer Lynn Hunt, le portrait isole, par définition, un individu de la masse. Ce qui permet en définitive d’accentuer l’héroïsation révolutionnaire. À l’instar du roi sous l’Ancien Régime, exister c’est être représenté et inversement. On retrouvait cette thématique dans les Onze de Pierre Michon (Grand Prix de l’Académie française 2009) où la représentation fictive et fantasmée par l’auteur lui permet de conclure à notre volonté dans l’Histoire de représenter naturellement le pouvoir.

Cette dialectique entre pouvoir et image, entre représentation et légitimité politique court tout au long de l’œuvre. L’utilisation en introduction du Marat assassiné de David vient directement illustrer cette problématique. Marat prend place dans le processus de légitimation parce qu’il est immortalisé par la représentation, il devient martyr, un saint républicain, véritable Christ crucifié dans une baignoire. Marat, Bara, Le Pelletier ont largement leur place dans l’œuvre car ils illustrent cette tension fondamentale entre la production d’images et la volonté des révolutionnaires de cristalliser un émoi religieux et mystique dans une imagerie encadrée. La dimension religieuse semble donc omniprésente, le pouvoir ne devrait sa stabilité qu’à un ciment divin dans l’esprit de Robespierre, ainsi l’image est un simple moyen d’agrégation. Enfin, l’image a également une aura d’apaisement, voir de régulation. Après l’exécution de Louis XVI et la manifestation d’ordination de la violence par les autorités, on comprend mieux l’utilisation de l’image comme moyen de tempérance.

Le travail d’Yslaire est original en ce qu’il permet l’illustration de l’élaboration d’une nouvelle société, politique et culturelle. Le dessin, qui est donc en lui-même une mise en abîme, s’articule autour d’une tension intéressante, entre l’esquisse et l’image aboutie. L’espace est souvent esquissé, comme si la Révolution n’était que passagère, éphémère. Cette notion du provisoire, d’une construction « en cours » s’oppose dans le dessin aux œuvres incrustées. Elles sont donc leur contraire, la pérennité de l’Art, l’incarnation de l’Histoire. Ainsi, dans le dessin, on perçoit cette tension entre le présent fugace, rapide (il suffit de constater le crayonnage qui entoure la table du comité de Salut public page 17) qui « dévore ses propres enfants » et le déjà passé qui se cristallise dans la représentation pour la postérité. Enfin, cette présence de l’esquisse et du collage dans le dessin donne une dimension de « bricolage » aux événements révolutionnaires, l’élaboration d’une nouvelle culture induit une réappropriation du déjà existant (la thématique antique par exemple qu’on retrouve dans la présence de nombreuses statues dédaliques, ou encore dans Le sommeil d’Endymion de David, planche 8).

Une seconde dimension s’offre à l’analyse autour de la question de la représentation : celle de la sacralité. A partir de la mort du roi, cette mort du père sur laquelle insiste Lynn Hunt, induit une nouveauté dans le rapport à la sacralité et crée de nouveaux enjeux politiques. Ainsi vont s’établir des liens étroits entre création d’une sacralité, pérennité et stabilité politique et production des images. Ce ciel « trop vide » dont parle Robespierre au début de l’ouvrage semble être propice à l’élaboration d’un renouveau sacral. Le ciel au dessus du Louvre présente ici une complexité intéressante. La base du récit est la production d’une représentation de l’Etre Suprême par David. Les œuvres de l’artiste parsèment les pages comme un palimpseste artistique où représenter le Père devient problématique et impossible. Les révolutionnaires se posent comme frères, unis par un serment fondateur. Cette dimension d’une sacralité originelle est incarnée par Le Serment des Horaces de David qui revient plusieurs fois en filigrane dans la bande dessinée. Mais les auteurs vont plus loin et mettent en avant la production de la sacralité à travers le portrait de Marat, mais aussi ceux de Le Pelletier, de Viala et enfin de Bara. Ce dernier, qui est le fil rouge de l’intrigue, ce portrait inachevé, se confond dans le récit avec la recherche de David de la représentation de l’Être Suprême. On comprend donc ici cette complexité induite par les auteurs entre production des images des martyrs dans un but politique et recherche imagée d’un Père sacré. Cette confusion voulue et convenue nous amène à nous interroger sur le rôle de Jules Stern dans le récit.

Le personnage imaginaire de Jules Stern n’est qu’une simple allégorie, véritable ange (descendu du ciel ?) déambulant au cœur de la Terreur. Visage émacié, androgyne presque fellinien, cet être apparaît le jour de l’inauguration du Louvre. Il souhaite dénoncer sa mère, qui n’est autre que la Révolution elle-même (« parce qu’elle tue tout le monde. Toi aussi, elle te tuera citoyen Robespierre »). Ainsi, le jour de la naissance d’un temple de la représentation, de l’image et par là même de la Mémoire de la Révolution, ce qu’elle produit : la Nation, peut enfin s’incarner. Cette incarnation est cet être angélique, Jules Stern et le symbole de la France, jeune, idéalisée. Mais ce personnage a une dimension mystique et c’est ce qui nous intéresse ici. David va s’éprendre artistiquement de ce jeune homme et en faire son modèle pour la commande de Robespierre.

L’obsession de David à peindre le personnage de Stern, c’est le symbole de la confusion révolutionnaire, Jules va se confondre avec Bara, avec l’Etre Suprême, avec l’homme nouveau espéré. Il devient peu à peu dans le récit, l’incarnation d’une France dans la recherche de son propre visage, mais il devient également cette impossibilité apparente de conciliation entre Révolution et Religion. Par cet amalgame entre plusieurs entités théologiques, le personnage de Stern (qui est juif dans le récit) devient un agrégat des réflexions révolutionnaires autour de la sacralité. L’aspect androgyne voire féminin de Bara marque une évolution majeure par rapport aux tableaux prérévolutionnaires de David. On n’a pas ici la dimension virile des autres œuvres. David crie à Jules Stern posant devant lui : « Non, plus tourné vers moi, la cuisse… Qu’elle cache le genou droit et le sexe ! […] Tu dois paraître heureux ! Tu incarnes un jeune martyr qui a une révélation à son dernier soupir ! » (planche 37). Ainsi, on voit cette dimension de mise en scène, de théâtralisation du martyr dans un but propagandiste mais aussi ce souhait de pureté et d’universalité produit par le caractère asexué de l’icône. Les enjeux politiques se mêlent aux images et à la sacralité et inversement. Se découvre ici la problématique centrale de l’œuvre et de la Révolution française. Il reste une interrogation intéressante et stimulante concernant la conclusion de cet ouvrage. Les auteurs prennent indéniablement parti en mettant en scène l’apothéose de David face au portrait esquissé de Napoléon Bonaparte. Ainsi, les auteurs concluraient sur l’aboutissement d’une recherche de l’artiste, où l’incarnation sacrée et politique de la Révolution serait le futur empereur. En définitive la question est de savoir si Napoléon est Fils ou Père de la Révolution française ? À travers une lecture théologique de la révolution, cette impossibilité à représenter une Etre supérieur et fondateur peut renvoyer aux réflexions catholiques autour de la représentation de Dieu. Le fils étant à l’image du Père, représenter l’un suffit à représenter l’autre. La première lecture serait donc celle d’un Napoléon, fils de la Révolution, entité sacrée représentable qui incarnerait par là même la Révolution. Mais si on se penche sur les analyses de Lynn Hunt, Napoléon va incarner ce Père tué depuis janvier 1793. « En termes freudiens, les révolutionnaires étaient bloqués à cette phase dans laquelle personne ne pouvait ni ne devait atteindre la puissance absolue du Père » . Ainsi, on aurait ici davantage une dimension de Père retrouvé, à travers un processus de production de sacralité insolite : l’image peinte par David. La question reste donc ouverte, comme nous le proposent Yslaire et Jean Claude Carrière, Napoléon, Être Suprême incarné, fils ou père de la Révolution ou flacon d’Ether ?

D’après une idée de Bernar Yslaire. Scénario, textes et dialogues de Jean-Claude Carrière et Bernar Yslaire. Mise en scène, dessin et couleurs par Bernar Yslaire. Chez Futuropolis, 2009


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